À 0.05g, vous ne devriez même pas conduire...

Dossiers
lundi, 1 mars 2010
Québec veut abaisser la limite d’alcoolémie au volant à 0,05 g/100 ml de sang? C’est peut-être là la meilleure décision de l’année, voire de la nouvelle décennie. Vous en doutez? Alors, c’est que vous ignorez qu’à 0,05 g, vous ne devriez même pas conduire.

Novembre 2009, à l’émission J.E.: trois cobayes se prêtent au jeu de l’alcool au volant à même le simulateur de conduite de CAA-Québec. À jeun, Valérie, Yannick et Philippe prouvent qu’ils sont de bons pilotes: ils ne commettent aucune erreur.

Puis, on leur donne suffisamment à boire pour qu’ils «soufflent dans la baloune» presque 0,05 g/100 ml de sang. Du coup, leur concentration au volant diminue, leur conduite devient erratique et ils empiètent sur la ligne blanche plus souvent qu’autrement.

Après trois verres de vin, Valérie rate un virage, et après quatre verres, Yannick perd momentanément la maîtrise de son véhicule. On n’en est qu’à 0,05 g, rappelez-vous…

À cinq verres pour Yannick et Philippe, quatre pour Valérie, nos trois conducteurs «soufflent» 0,07 g. Autrement dit, ils peuvent encore légalement prendre le volant – au Québec du moins.

Mais Yannick le dit clairement: «Je ne suis pas en état de conduire; j’ai la bouche pâteuse et les jambes molles.»

L’expérience au simulateur montre qu’il a raison: il heurte un piéton. Valérie, elle, fait grimper la voiture sur un trottoir avant de provoquer deux accidents. «Maudit cave», lance-t-elle à un automobiliste qu’elle affirme être «sorti de nulle part.»

Quant à Philippe, son regard est fixe derrière ce volant qu’il ne tient plus que d’une main. Son agressivité monte au fur et à mesure que les pépins surviennent et il multiplie les erreurs. «Fuck», commentera- t-il.

Bref, «plus le taux d’alcoolémie augmente et plus les décisions sont émotives, ce qui rend les conducteurs imprévisibles, rapporte Yvon Lapointe, directeur en sécurité routière chez CAAQuébec. À 0,05 g, nos conducteurs éprouvent certaines difficultés, et à 0,08 g, ils sont icapables de prendre le volant en toute sécurité.»

Ceux qu’ils tuent ne sont pas comptabilisés

Depuis que Québec a déposé, en décembre dernier, son projet de loi 71 resserrant les règles entourant l’alcool au volant, on a entendu ici et là toutes sortes de critiques. « Occupez-vous plutôt des récidivistes! » disent ceux qui semblent avoir oublié qu’on en fait déjà pas mal, à ce chapitre. D’ailleurs, se concentrer sur les récidivistes signifie-t-il qu’il faille oublier tous les autres aspects de la problématique?

Il y a aussi ceux qui disent qu’il est très petit, le nombre de conducteurs décédés sur nos routes alors qu’ils présentaient un taux d’alcoolémie entre 0.05g et 0.08g. Vrai que 5% peut paraître une faible statistique, mais il faut savoir que celle-ci tient uniquement compte des conducteurs décédés. Autrement dit, elle ne tient pas compte des autres victimes que l’accident a pu faire. Et elle ne tient surtout pas compte des victimes décédées par la faute d’un conducteur éméché... qui, lui, ne s’est pas tué.

Sauver 45 vies

Jean-Marie De Koninck, grand défenseur de la sécurité routière au Québec s’il en est un, estime qu’entre 0.05g et 0.08g d’alcoolémie au volant, les risques d’être impliqué dans un accident mortel sont cinq fois plus grands. Vous avez bien lu : cinq fois plus grands.

Selon la ministre des Transports Julie Boulet, faire passer la limite légale de 0.08g à 0.05g permettrait de sauver 45 vies sur les routes québécoises chaque année. Quarante-cinq vie, c’est énorme dans un bilan routier de 557 morts (en 2008) – doit-on rappeler que l’alcool au volant fait toujours, bon an mal an, plus de 200 morts par année?

Le Québec fait moins bien qu’ailleurs

Devant de telles statistiques, a-t-on besoin d’arguments supplémentaires pour être convaincu du bien-fondé du projet de loi 71 actuellement en consultations générales (jusqu’au 9 mars)?

Oui? Eh bien, sachez que la plupart des pays dits développés imposent le 0.05g comme limite légale. C’est le cas de la France, pourtant terre de la bonne chair et du bon vin. Même chose pour la plupart des pays d’Europe et pour l’Australie.

En Allemagne, patrie du houblon, la limite légale est encore plus basse : 0.03g. Tout comme en Chine, en Inde et au Japon. En Suède, en Norvège et en Pologne, elle est fixée à 0.02g. En République tchèque, elle est même à… 0.00g.

Quelques exceptions confirment la règle, cependant : les États-Unis, le Mexique et l’Angleterre en sont toujours à 0.08g. Pour le moment, du moins…

Au Canada, le Québec est la plus permissive de toutes les provinces parce qu’elle est encore la seule à permettre au-delà du seuil de tolérance de 0.05g.

Mais même avec son projet de loi 71, elle risque de manquer de dents. En effet, on n’y commande, pour celui ou celle qui se fait prendre à conduire avec entre 0.05g et 0.08g d’alcoolémie, qu’une suspension administrative du permis de conduire pour 24 heures.

Autrement dit, une simple mesure intermédiaire. Pas de dossier criminel, pas de point d’inaptitude, pas de saisie de véhicule.

Vivement le 0.00…

Avec le projet de loi 71, l’on n’est pas en train de dire aux Québécois de ne pas boire. On est simplement en train de leur rappeler que le 0.05g, ça vient après pas mal plus de verres qu’ils ne le pensent et qu’ils ne sont alors déjà plus en état de conduire.

Les solutions de raccompagnement ne manquent pas : prendre un taxi, désigner un chauffeur sobre, emprunter les transports en commun, rentrer à pied, coucher à l’hôtel… L’important, c’est de savoir que celui ou celle qui se demande s’il/elle peut conduire est déjà dans le pétrin et qu’il/elle ne devrait pas prendre le volant.

Personnellement, je rêve du jour où le Québec présenterait un projet de loi où le taux d’alcoolémie au volant serait de 0.00g.

Oui, oui, comme dans zéro point zéro!

Là, le Québec pourrait se targuer de s’afficher en force sur la carte de la sécurité routière…

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