Design automobile: Simon Lamarre, un Québécois dans l'antre de Volvo

Dossiers
jeudi, 1 octobre 2009
Lorsque son fils de 11 ans lui a dit souhaiter devenir, comme lui, designer automobile, Simon Lamarre lui a lancé un regard sceptique: «On verra, on verra», lui a dit le Québécois chargé du style chez Volvo, en Suède, depuis près de 15 ans.

Pas question, en effet, de décourager Fiston. Mais reste que dessiner des voitures est non seulement l’un des métiers les plus compétitifs de la planète, il exige compromis sur compromis, au gré des contraintes mécaniques, des limites aérodynamiques et spatiales, des impératifs budgétaires. « Le design ultime, c’est le compromis ultime! » se plaît à dire Simon Lamarre.

Aussi, être designer automobile est sans doute l’un des boulots les plus ingrats qui soient : un jour, vous êtes l’idole qui a créé la petite Volvo C30, le lendemain on énonce que votre concept, dans lequel vous avez pourtant mis toute votre énergie, n’est bon que pour les oubliettes… »

Comme si ce n’était suffisant : « Alors que les collègues de tous les autres départements collaborent, le designer est en compétition directe avec les siens. Il lui faut constamment se remettre en question – sinon, il risque de se faire manger tout cru! »

Bref, pour ceux qui aspirent à une carrière assurée et où le questionnement n’est pas le plat du jour, un conseil du pro : choisissez autre chose! Cela dit, le pro vous dira du même souffle qu’être designer automobile, « c’est le meilleur job du monde… »

Simplicité scandinave

La première fois que j’ai interviewé Simon Lamarre, c’était à Montréal à l’hiver 2003, au lancement du nouveau Volvo XC90. Le natif de Sainte-Thérèse, dans les Laurentides. avait conçu l’habitacle de l’utilitaire et il s’agissait de sa première grande réalisation chez le constructeur suédois.

Grand et mince, les yeux perçants et alors âgé de 34 ans, Simon Lamarre m’était apparu à la fois mesuré et ténébreux – je l’avais d’ailleurs comparé à un jeune curé, peut-être en raison de son très classique costume-cravate noir. On était loin d’un designer au look « star de rock’n roll » qui porte montres Mickey Mouse et souliers rouges (un autre designer chez Volvo…).

Non, Simon Lamarre, lui, donnait dans la simplicité. Celle-là même qui fait la force du design scandinave. D’ailleurs, si l’on veut une bonne description de ce qu’est le design scandinave, nul n’est mieux placé que lui, qui vient d’ailleurs, pour le faire.

Et c’est en quelques phrases que Simon parle de formes épurées sans être ennuyantes, d’esthétisme posé plutôt que flamboyant, d’approche honnête envers les matériaux – « Du bois, c’est du bois, ce n’est pas du plastique! ». Il discoure également d’un grand souci de l’environnement, jusqu’à présent peu égalé dans le monde. Oh, et de fonctionnalité : « Un bel objet qui n’est pas fonctionnel, ce n’est pas ‘design’, » martèle-t-il.

Les Suédois, Simon connaît bien : il en a marié une. Il a rencontré Annette (« Une belle Suédoise de six pieds! ») à un camp de vacances en Suisse, il y a de ça 20 ans. Sitôt ses études en Design de l’environnement terminées à l’UQAM, il a déménagé ses pénates pour le pays de sa douce.

Un premier boulot chez Saab, l’autre constructeur suédois, lui a permis de faire ses premiers pas en stylisme automobile. Pendant plus de trois ans, il a… créé des maquettes. « Je ne sentais pas qu’il y avait là, pour moi, des possibilités de développement. » Mars 1995, il fait donc son entrée chez Volvo.

Toujours à recommencer

En design automobile, c’est le principe du ‘beaucoup d’appelés, très peu  d’élus’.  « Même les plus talentueux doivent travailler très, très fort pour arriver ne serait-ce qu’à une ouverture. Puis, ils doivent travailler encore plus fort pour faire leur marque, leur place. »

Et après bien des années, lorsque cela est fait… tout est à recommencer. Pas question de s’asseoir sur ses lauriers!

Recommencer,  voilà ce qui semble tenir Simon Lamarre en vie. À chacune des interviews menées avec lui au cours des six dernières années, il a toujours été question… de remises en question. Et encore plus cette fois-ci puisque le père de famille (outre son garçon de 11 ans, il a des jumelles de 9 ans) vient de passer le cap de la quarantaine. La crise a frappé fort, a-t-il dit…

Une chose n’a pas changé, cependant. Pour lui, le « neuf à cinq » où on laisse le boulot derrière soi pour mieux rentrer à la maison, ça n’existe pas. « On y pense tout le temps, au design. Je ne dirais pas que c’est une obsession, mais ce n’est pas facile de s’arrêter. »

Surtout que les meilleures idées surviennent rarement au bureau… Elles se pointent lorsqu’on s’y attend le moins, dans des contextes tout à fait hors champ. Pas surprenant que pour dénicher les concepts du siècle, Simon Lamarre explore les salons d’exposition des autres industries : meubles, articles de sport…

C’est d’ailleurs dans un salon de sport que lui est venu l’idée du duo inédit de couleurs blanc-bronze pour le prototype de ce qui allait devenir la Volvo C30 (notre photo). Cette fois-là, Simon Lamarre s’est inspiré… d’espadrilles Adidas!

Ce que vous voudrez… dans dix ans

La Volvo C30 constitue, à date, le plus grand succès de toute la carrière du styliste québécois. Lancée en 2007, la compacte suédoise avait pour mission d’attirer une nouvelle clientèle, plus jeune et plus « funky ».

Avec ses épaulements arrière accentués, son hayon vitré et sa calandre large et surbaissée, la C30 est une véritable révolution versus ce que le constructeur proposait jusqu’alors.

L’on prend toute la mesure du talent du styliste lorsqu’on sait qu’il doit travailler sur des projets qui ne verront le jour que plus tard, beaucoup plus tard:

« Il nous faut en effet développer des modèles qui vont répondre aux demandes des consommateurs dans cinq ans et qui, par la suite, vont aussi continuer de plaire pendant un autre cinq ou sept ans. Pas facile pour nous d’anticiper si longtemps d’avance quand, bien souvent, les gens ne savent même pas ce qu’ils vont vouloir… demain! »

MA voiture

Depuis sa création il a plus d’un siècle, l’automobile a toujours été symbole de statut social, un reflet de la personnalité qu’on voudrait bien posséder. « Curieux de voir, dit Simon Lamarre, que les gens veulent tous la même… différente chose des autres! »

On a beau dire, il est quand même impressionnant pour un petit bout d’homme de 11 ans de se faire reconduire à l’école par son père… dans la voiture dessinée par son père. Peu d’enfants dans le monde peuvent en dire autant, d’où sans doute ce rêve de pouvoir, lui aussi, dessiner un jour son propre modèle.

Papa lève grand les yeux au ciel quand il pense à tous les défis qui attendent Fiston. Mais il ne peut nier que ça en vaut la peine lorsque, immobilisé à un feu rouge dans sa C30 couleur argent à suspension surbaissée, une Porsche ou une Ferrari se pointe tout à côté. « Bien sûr que je trouve la voiture sport bien belle… mais je ne peux m’empêcher de penser que ma voiture, c’est moi qui l’a dessinée! »

Lorsqu’on questionne Simon Lamarre à savoir s’il apprécie sa compagnie, Volvo, il répond sans hésiter: «Beaucoup. J’aime ses valeurs fondamentales, celles de sécurité, de solidité et celles qui la font se soucier des gens, de la nature.»

Pour lui, Volvo est le reflet de la société suédoise, une société « à la fois pratique, très intelligente et grandement soucieuse de son environnement, de son entourage. »

Lui qui vit maintenant depuis presque deux décennies à Göteborg (prononcez «Hoyteborg» si vous voulez faire croire que, comme lui, vous parlez couramment la langue) a vite appris que les Suédois sont des êtres de contraire: «Ils sont d’un grand sérieux au travail et jamais ils ne prennent un verre d’alcool à l’heure du lunch. Mais lorsque le boulot est terminé et qu’il y a fête, ils sont… tout à l’opposé!»


La question qui tue

Pour Simon Lamarre, la « question qui tue » est celle-ci: quelles sont les tendances « design » du futur? « Je l’attendais avec ferveur, cette question! », ironise-t-il gentiment.

Il se prête néanmoins à la réponse : « L’environnement est ce qui marquera le plus, » dit-il. Voilà sans doute pourquoi son prochain mandat, au sein de Volvo, sera le design environnemental, ce qui devrait permettre de réunir toutes les initiatives vertes sous un même parapluie.

À l’horizon, le Québécois entrevoit de plus en plus de voitures électriques, hybrides ou 100% électriques. « En Amérique, les gens n’y sont pas encore prêts, ils sont surtout dictés par le prix du carburant. Mais en Europe et en Asie, les priorités ont changé : on y veut désormais des véhicules moins nocifs pour l’environnement. »

Au-delà des motorisations plus vertes, il y aura de plus en plus de matériaux respectueux de la nature, dit encore Simon Lamarre. « On travaille les fibres de cellulose et on commence à voir des produits à base végétale plutôt qu’à base pétrolière. »

Aérodynamisme oblige, les formes devraient aussi évoluer. « Nous verrons des styles plus aventuriers et des formes inhabituelles au premier regard. Ça se jouera également dans les proportions. »

Mais pas trop vite, quand même : « L’automobile est l’une des industries les plus traditionnelles qui soient, il faut donc laisser le temps aux gens d’accepter les changements. Sinon, on va nous traiter de fous! »

Et de conclure, sur un ton rêveur : « Si vous saviez toutes les idées qui ont été annulées parce qu’on les a trouvées trop « flyées ».... »

Copyright © 2015 Nadine Filion. Tous droits r�serv�s.