Distraction au volant: y’a-t-il un conducteur à bord?

Dossiers
jeudi, 18 septembre 2003
Vous conduisez en pleine heure de pointe et votre cellulaire se met à sonner. Vous y répondez d’une main et conversez avec votre interlocuteur au sujet d’un important rendez-vous. Zut, il vous faut un bout de papier sur lequel écrire quelques notes. Un crayon, aussi. Mais où est donc votre agenda électronique? Voilà votre véhicule transformé en bureau ambulant. Le problème, c’est que pendant que vous brassez de grosses affaires derrière le volant, votre attention est partout... sauf sur la route.

C’est pourtant cette dernière qui devrait être la priorité de tout conducteur. « La première responsabilité de l’automobiliste devrait être de conduire, dit le CAA. Avec les deux mains sur le volant, les yeux et l’esprit sur la route. »

L’habitude nous fait peut-être croire le contraire, mais piloter un véhicule n’est pas une mince affaire. Le CAA dit encore : « La conduite est une tâche complexe qui exige des conducteurs qu’ils regardent, écoutent, jettent un coup d’œil dans les rétroviseurs, ralentissent, prévoient les problèmes, contrôle la direction, freinent, repèrent des dangers et plus encore. »

Pourtant, combien de fois vous est-il arrivé de parvenir à votre destination… étonné d’y être déjà rendu?

Distraction au volant : danger!

La distraction au volant est insidieuse et dangereuse. En réduisant la concentration du conducteur, elle affecte ses performances et compromet sa sécurité. Dans le cas d’une urgence, les fractions de seconde perdues à revenir dans la réalité peuvent coûter cher.

Très cher.

Le Conseil canadien de la sécurité estime que l’inattention au volant est responsable de 20 à 30% de toutes les collisions routières. Et qu’elle serait même responsable de 9% des accidents graves ou mortels.

Parlez-en à tous ces policiers qui entendent : « Je ne l’avais pas vu… »

On ne s’en sort pas : les êtres humains sont limités dans la quantité de renseignements qu’ils peuvent recevoir et traiter. Malheureusement, constate le Conseil canadien de la sécurité, « la multiplicité des tâches au volant est monnaie courante. Les voitures sont devenues un endroit où l’on mange, discipline ses enfants, parle au cellulaire, se rase ou se maquille. »

À preuve : les trois quarts des conducteurs que l’organisme a interrogés dans le cadre d’un sondage ont avoué effectuer des tâches personnelles ou travailler au volant.

Vous doutez des conséquences de l’inattention? Considérez la recherche suivante, menée par Transports Canada. Vingt-et-un conducteurs se sont prêtés au jeu, qui consistait à circuler à plusieurs reprises sur un circuit urbain de huit kilomètres.

Chaque fois, ils devaient conduire en résolvant des problèmes arithmétiques plus ou moins difficiles. Un examen de leur comportement visuel a démontré que plus la charge cognitive s’accroissait, plus ils fixaient au centre et moins ils passaient de temps à regarder en périphérie, encore moins à vérifier les instruments et le rétroviseur arrière. De plus, ils provoquaient davantage d’incidents de freinage brutal.

Du café bouillant au système high-tech…

La distraction au volant peut être causée par une foule de raisons. Le téléphone cellulaire en est une, mais il y en a d’autres. À commencer par les autres occupants du véhicule qui jacassent, la radio qui vocifère, le BigMac que vous tentez d’avaler, le café qui peut vous ébouillanter les cuisses, la carte routière que vous dépliez…

Surtout, de plus en plus de véhicules sont équipés de « systèmes embarqués » tels les dispositifs de navigation, les écrans DVD, les communications sans fil, les ordinateurs de bord, voire même les accès internet. Les innovations technologiques explosent à un tel rythme que même les plus branchés n’arrivent plus à suivre!

C’est que les constructeurs automobiles ont senti, au tournant du millénaire, que la télématique pouvait constituer une source additionnelle de revenus pour eux. Depuis, ils s’en donnent à cœur joie.

Un coup d’œil dans un futur pas si lointain nous montre un conducteur qui, pour trouver son chemin, compte sur un système de navigation ultra sophistiqué qui lui signale les bouchons de circulation, lui suggère un trajet alternatif, lui présente les résultats sportifs du dernier match de football, lui lit ses courriels, lui donne les nouvelles de l’heure ainsi que la météo et, pourquoi pas, lui offre la possibilité de réserver deux billets de spectacle pour la soirée.

« La machine est en train de prendre le pas sur l’homme! » lance Patrice Letendre, conseiller en sécurité à la SAAQ, qui croit « qu’aussi inévitablement que l’impôt, les systèmes de navigation des véhicules de luxe d’aujourd’hui se retrouveront dans toutes les voitures d’ici cinq ou dix ans. »

Trouvailles technologiques… et psychologiques

De tels équipements technologiques, aussi pratiques soient-ils, se devront d’être sécuritaires. Transports Canada a ses inquiétudes : « Nos craintes au sujet de la distraction au volant ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau, c’est la prolifération de technologies communicationnelles disponibles pour les conducteurs et l’éventail d’activités que ces dispositifs à bord entraînent. »

Les constructeurs se disent soucieux d’élaborer des systèmes qui n’augmentent pas la somme d’inattention. Ainsi, GM mise depuis 1996 sur « OnStar », un système GPS doublé de commandes vocales. Vous cherchez une station service? Vous appuyez sur un bouton et comme par magie, vous êtes en ligne avec un répartiteur qui vous guidera vers le poste d’essence le plus près.

Chrysler a récemment lancé son « Uconnect » qui, grâce à la technologie Bluetooth, reconnaît jusqu’à cinq cellulaires. Plus besoin de mains libres : un microphone caché dans le rétroviseur et les haut-parleurs du système audio prennent la relève. Encore là, la reconnaissance de la parole vous permet de composer un numéro sans même toucher à votre téléphone. Un appel entre? Jetez un œil à l’affichage radio, vous saurez qui tente de vous rejoindre.

Par ailleurs, la psychologie du conducteur intéresse les constructeurs au plus au point. Ford a ainsi élaboré un laboratoire dont la vedette est une Ford Taurus reliée à toutes sortes de capteurs et de circuits électroniques. Les ingénieurs y ont découvert que la distraction est plus grande chez les jeunes que chez les adultes.

En effet, les jeunes conducteurs ont éprouvé davantage de difficultés à exécuter des tâches multiples. « Les adolescents n’excellent pas comme leurs aînés lorsque vient le temps de répartir leur attention entre conduire et composer un numéro sur leur téléphone, rapporte Larry Cathey, technicien spécialiste. Ils fixent trop longuement les touches plutôt que de jeter des coups d’œil réguliers à la route. »

Voilà qui est étonnant de la part de ceux qui maîtrisent pourtant si bien les jeux vidéo…


CELLULAIRE AU VOLANT : entre mythes et réalité

L’Université de Montréal a réalisé une vaste enquête sur le cellulaire. Elle a démontré que son utilisation au volant augmente les risques d’accident de 38%... soit plus ou moins l’équivalent du geste qui consiste à changer un disque compact tout en conduisant.

De l’autre côté de l’Atlantique, une étude britannique a révélé que parler au cellulaire en conduisant, avec ou sans mains-libres, équivaut à conduire aussi mal qu’une personne affichant un taux d’alcoolémie de 0,08mg/l (la limite légale). Dans un cas comme dans l’autre, le temps de réaction du conducteur s’accroît et des fluctuations sont enregistrées quant à la vitesse et à la trajectoire du véhicule.


Un bon conducteur devrait…*

  • … garder ses deux mains sur le volant et ses yeux sur la route    
  • … se familiariser avec le fonctionnement des équipements tels le système audio et le téléphone cellulaire, de façon à pouvoir les utiliser sans quitter la route du regard
  • … programmer ses stations radiophoniques, placer ses CD à la portée de la main.
  • … programmer sur son cellulaire les numéros fréquemment utilisés. Et se rappeler qu’une boîte vocale, ça sert à prendre les messages lorsqu’on est occupé, entre autres à conduire!
  • … s’arrêter pour boire et manger. Cette pause lui permettra non seulement de se reposer, elle pourrait lui éviter de s’étouffer sur un muffin derrière le volant ou d’échapper un café bouillant sur son plus beau pantalon.
  • … vérifier son itinéraire avant de partir. Mieux vaut consulter la carte routière avant de se glisser derrière le volant qu’une fois en chemin.
  • … faire sa toilette avant de démarrer. La voiture en mouvement ne devrait pas être le théâtre d’une séance de maquillage ou de rasage.
  • … éviter les conversations émotives, que ce soit avec les passagers du véhicule ou l’interlocuteur au cellulaire.
  • … éviter de prendre des notes au volant. Mieux vaut s’arrêter en bordure de la route.
  • … être prêt en tout temps afin de parer à toute éventualité.
  • … éviter de ramasser l’item tombé au plancher.
  • … prendre une pause s’il se sent perdu dans ses pensées.

* Conseils fournis par le Conseil canadien de la sécurité


DISTRACTION AU VOLANT : une inquiétude qui ne date pas d'hier

L’inattention au volant n’est pas née avec les derniers développements technologiques. En fait, la société s’en inquiète depuis près d’un siècle.

En 1903, une américaine, Mary Anderson, visitait New York lorsqu’elle a remarqué des automobilistes qui s’arrêtaient régulièrement en bordure de la route, afin de retirer la neige et la glace qui se formaient sur le pare-brise.

Inspirée, Mme Anderson a inventé des bras pivotant recouverts de caoutchouc pouvant être activés de l’intérieur du véhicule. L’essuie-glace venait d’être créé.

Malgré les critiques de ceux qui soutenaient que leur rythme hypnotique nuisait à la concentration des conducteurs (!), ils sont devenus un équipement de série dix ans plus tard, en 1913.

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