Dur, dur d'être Zenn...

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lundi, 15 décembre 2008
Ça y est, la ZENN a obtenu le droit de rouler au Québec. Depuis l’été, et pour au moins trois ans, la petite voiture électrique assemblée à Saint-Jérôme, dans les Laurentides, peut circuler sur certaines de nos routes. Mais cette bonne nouvelle pour la compagnie Zenn Motors inquiète les experts en sécurité routière, alors que les spécialistes en transport électrique la trouvent anodine. Dur, dur d’être ZENN…

La situation était, il n’y a pas si longtemps, des plus singulières : la ZENN ( « zero emission, no noise »), pourtant fabriquée au Québec, n’était pas autorisée à rouler au Canada. Les quelque 350 exemplaires de la petite voiture électrique deux places, assemblés à l’usine jérômienne depuis plus de deux ans, ont donc tous pris le chemin… des États-Unis.

Il faut dire que nos voisins du sud sont nettement moins frileux que nous à l’égard des « VBV » (véhicules à basse vitesse) : la majorité des états en autorisent la circulation sur les routes de 35 mph et moins. De ce côté-ci de la frontière, le gouvernement fédéral a plutôt décrété que ce type de véhicules devait être confiné à des bases militaires ou à des campus universitaires.

Heureusement pour la ZENN, ce sont les provinces qui ont le dernier mot en matière de transport. L’été dernier, la ministre québécoise Julie Boulet annonçait donc que la ZENN (ainsi que le petit camion NEMO, conçu à Sainte-Thérèse) était autorisée à circuler sur nos routes de 50km/h et moins et ce, en vertu d’un projet-pilote de trois ans.

La Belle Province emboîtait ainsi le pas à la Colombie-Britannique qui, à l’automne 2007, était la première au pays à ouvrir la porte aux VBV.

Ceci dit, l’avenir de la ZENN n’est pas rose pour autant. D’abord, parce que la petite voiture deux places, qui se détaille plus ou moins 16 000$, ne dépasse pas les 40km/h et ne parcourt que 60 kilomètres entre chaque recharge de huit heures. Il faut donc ne pas être pressé, planifier soigneusement ses déplacements et s’assurer, à destination, de l’accès à une prise électrique.

Aussi, en cas de collision, la ZENN n’offrirait guère plus de sécurité qu’une motocyclette, dit un spécialiste. D’autres considèrent sa technologie désuète : « C’est dommage, dit Pierre Lavallée, directeur du CEVEQ, les gens vont penser que c’est ça, l’auto électrique de demain. »

Voici les inquiétudes et les réflexions que nous ont confiées les experts interrogés au sujet de la ZENN.

Ce que dit l’expert « électrique » :
« Ce n’est pas ça, la voiture électrique de demain »

Pierre Lavallée est à la tête du Centre d’expérimentation des véhicules électriques du Québec (CEVEQ) depuis une décennie. Pour lui, l’annonce des VBV sur nos routes est anodine, dans un contexte où le scooter électrique et le Segway n’y sont toujours pas autorisés.

Il soutient par ailleurs que les VBV ne reflètent pas ce qui se fait d’électrique dans l’automobile. « Dans nos symposiums, dit-il, nous discourons une semaine entière sur les véhicules électriques, mais qu’une courte minute sur les VBV. Et encore, la seule chose qui nous intéresse, c’est de parvenir à en produire pour qu’ils se vendent moins de 8 000$... »

M. Lavallée estime que le VBV est à l’automobile ce que le poêle extérieur est à la maisonnée : « C’est comme si une famille qui compte déjà un four encastré, un micro-ondes et un BBQ décidait de se procurer un poêle extérieur pour faire des feux dans sa cour... »

Ce que dit le « prof » :
« Dans une collision, la ZENN n’aura pas beaucoup de chance »

Michel Gou est professeur à l’École Polytechnique où, depuis 35 ans, il dirige une équipe de sécurité routière. L’aspect sécurité des VBV l’inquiète, parce « qu’ils ne respectent aucune des normes exigées pour les autres véhicules. »

En effet, si la voiture conventionnelle doit répondre à une quarantaine de standards émis par Transport Canada (pare-chocs, protection des occupants et ancrage des sièges, notamment), les VBV doivent n’en respecter que deux : ceintures de sécurité et… numéro d’identification.

Conséquence : « Leur risque est très élevé, comme pour une motocyclette, dit M. Gou. Advenant une collision latérale, la ZENN n’aura pas beaucoup de chance. »

Ce que dit l’ingénieur :
« Une technologie fiable, mais qui date »

La plupart des hybrides à propulsion essence-électricité misent actuellement sur des piles au nickel. Demain, ce sera sur des piles au lithium-ion.

Les VBV, eux, se contentent d’une technologie qui date : le plomb.

« Ces piles existent depuis plus d’un siècle, dit Lindsay Brooke, de l’américaine Society of Automotive Engineers.  Elles sont fiables, coûtent peu cher et sont hautement recyclables, mais elles ont une autonomie réduite, emmagasinent peu d’énergie et sont lentes à recharger. »

Tout au contraire, les prochaines piles au lithium promettent d’être plus performantes, et aussi plus légères : «Le lithium, c’est le prochain ‘bing bang’ dans l’industrie automobile, » assure M. Lindsay.
 

Ce que dit le vendeur floridien de ZENN
« J’utilise trois fois plus ma ZENN que ma BMW »

- Jonathan Ortiz
La ZENN n’attire pas que les critiques. Au contraire, avec la flambée des prix du carburant, l’un de ses distributeurs américains, Foreign Affairs Autos à West Palm Beach en Floride, est témoin d’un drôle de phénomène : « La ZENN n’intéressait jusqu’à présent que les environnementalistes, mais depuis que le gallon d’essence frôle les 4$, elle séduit beaucoup plus large, » dit le propriétaire, Jonathan Ortiz.

M. Ortiz soutient que la ZENN intéresse surtout « les professionnels, les médecins et les avocats. » Lui-même en possède une et « je l’utilise trois fois plus que ma BMW, pour me rendre au centre-ville ou encore à la plage. »
Ce qu’il apprécie par-dessus tout? « Avec elle, pas d’entretien et, surtout, aucun passage à la station service! »

« Made in Québec »? Pas tout à fait
Il est faux de dire que la ZENN est un produit totalement québécois. De fait, seule l’installation du moteur électrique, des six batteries au plomb et du filage nécessaire est effectuée à l’usine de 3800 mètres carrés située en bordure de l’autoroute 15, à Saint-Jérôme.

Pour le reste, il faut compter sur Microcar. C’est en effet l’entreprise française qui en fabrique le châssis, la carrosserie et qui se charge de la finition intérieure.

En France, la Microcar est vendue depuis plus de 20 ans, est propulsée par un moteur diesel et ne requiert aucun permis de conduire.

Projet-pilote de Transports Québec – les détails
- Projet-pilote de trois ans en vigueur depuis le 17 juillet, avec prolongation possible de deux ans.

- Seuls les véhicules électriques ZENN et NEMO sont autorisés à circuler sur les routes québécoises de 50km/h et moins.

- L’objectif visé est d’expérimenter la cohabitation des VBV avec la circulation régulière, plus lourde et plus rapide.

- À long terme : élaborer des règles sécuritaires pour l’acceptation officielle des VBV et déterminer les équipements dont ils devront disposer.

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