L’envers de l’essai routier: trois chroniqueurs automobiles se confient

Dossiers
mercredi, 1 octobre 2008
Trois chroniqueurs automobiles, trois styles différents. L’un récolte ses impressions aux premiers tours de roue, l’autre prend quelques jours pour «décanter». L’un mise sur la conduite, l’autre sur l’habitacle. L’un encense la nouvelle Honda Accord, l’autre en est déçu. Une chose les réunit tous les trois, cependant : ils pilotent chaque semaine un ou des nouveaux véhicules. Chaque semaine et ce, depuis au moins 25 ans.

Blasés? Que non. Au contraire, ils se considèrent toujours aussi chanceux. Et ce métier, ils le prennent encore à cœur, l’accomplissent avec sérieux.

Découvrez l’envers du décor des essais routiers menés par le Pointilleux Raynald Côté (CAA-Québec), le Puriste Marc Lachapelle (le Guide de l’Auto) et « l’Intérioriste » Jacques Bienvenue (le Journal de Montréal).

Raynald Côté, le « Pointilleux »
Responsable du programme d’essais routiers chez CAA-Québec depuis 1984

À écouter Raynald Côté, l’on pourrait penser que sa mission d’essayeur routier est une corvée. Ces heures d’analyses qu’il s’impose chaque semaine pour déterrer mille et un détails a de quoi rendre fou.

Pas lui, cependant : il se passionne encore et toujours pour sa tâche, lui qui vient de célébrer la rédaction de son 1000e essai routier.

Chaque semaine, Raynald Côté s’oblige à passer une dizaine d’heures à bord d’un véhicule d’essai – dont au moins deux heures consécutives, question d’éprouver le confort des sièges.

Beau temps, mauvais temps, il se contraint au même « nœud » de routes, où il y retrouve ses points personnels de comparaison. Il neige à plein temps et le Québec tout entier reste sagement chez soi? Raynald Côté s’élance sur la route, prêt à tester traction et systèmes de sécurité.

Sur les 600 kilomètres – « minimum! » – qu’il engrange hebdomadairement avec son véhicule d’essai, Raynald Côté en parcourt quelques-uns à la nuit tombée. Parce que ce n’est qu’à ce moment qu’il peut évaluer l’intensité des phares.

Code de la route oblige, il conduit « comme monsieur et madame Tout le Monde ». Il s’est toutefois dégoté un « petit coin tranquille » pour ses tests d’accélération et de freinage. Il en profite alors pour exécuter quelques manœuvres d’évitement et… calculer le passage des essuie-glace (!) dans un temps donné, histoire d’en vérifier l’efficacité.

Pas surprenant, direz-vous, que ses collègues l’aient baptisé « le Pointilleux »!

Ses voisins, eux, l’ont plutôt surnommé « l’Étrange », lorsqu’ils l’ont vu monter à bord de son véhicule avec son manteau et ses gants… en plein mois de juillet. « Que voulez-vous, c’est ainsi que j’expérimente la facilité de manipulation des commandes. »

Aussi, une glacière trône en permanence dans son garage, parée à tester la capacité de chargement des coffres. De même, des gobelets de tailles différentes sont prêts à vérifier que les porte-tasse font bien leur boulot.

Immanquablement, les véhicules testés par Raynald Côté sont soumis à une inspection d’un centre technique de CAA-Québec. L’essayeur est d’ailleurs l’un des rares au Canada à pousser son analyse aussi loin. « L’étape est pourtant primordiale, parce qu’elle nous renseigne sur les éventuels coûts d’entretien. »

Un travail d’équipe

Raynald Côté ne le répètera jamais assez : « Personne n’a le monopole de la vérité. » Et surtout pas dans un domaine aussi subjectif que celui des essais routiers.

Voilà pourquoi une équipe le seconde dans sa besogne. « Je lui demande d’analyser le véhicule avec, en tête, ce pour quoi il a été conçu. Ainsi, qu’importe si une fourgonnette fait moins bien en slalom qu’une Porsche. »

Aussi, « je lui recommande de conduire comme dans la vie de tous les jours, ne serait-ce que pour obtenir une consommation réaliste en carburant. Je lui demande également de s’asseoir à toutes les places, à l’arrière comme à l’avant. Et de tout, tout noter. Est-ce que le soleil qui se reflète dans le tableau de bord nuit à la vision? Est-ce que les appuie-tête conviennent à tous les gabarits de passagers? À chaque essai, j’attends un rapport complet. »

Ces rapports, ainsi que ses propres notes, se regroupent pour former un ensemble que l’on peut lire sur www.caaquebec.com. Habitacle et coffre, commodité et sécurité, moteur et transmission, comportement routier et prix des pièces d’origine… Jamais, cependant, vous ne lirez sur l’esthétisme. « Qui suis-je pour dire si quelque chose est beau ou pas? »

« C’est avec la suspension que ça se passe »

Qu’est-ce que Raynald Côté regarde en priorité lors d’un essai routier? « L’homogénéité, répond-il d’emblée. Tant en portée sur l’autoroute, qu’en précision et en confort. »

Plus précisément, c’est avec la suspension, selon lui, « que ça se passe ». « J’aime les suspensions bien calibrées, qui mélangent la tenue de route et le confort, qui donnent l’impression qu’on conduit quelque chose de solide. Les Allemandes restent les maîtres à ce chapitre, elles sont d’ailleurs les seules avec lesquelles j’utilise le terme ‘onctueux’. »

Toujours, Raynald Côté se donne deux ou trois jours à bord d’une voiture avant de jeter ses impressions sur papier. « J’ai besoin de décanter de la voiture précédente, surtout si je passe d’une Mercedes à une Chevrolet. Très souvent, ce que je pense dans les 15 premières minutes d’un essai ne ressemble pas du tout à ce que je vais penser au bout d’une semaine. »

Les bonnes surprises existent, même pour le ‘Pointilleux’ : « Dernièrement, le Kia Rondo m’a pas mal impressionné. Il s’agit d’un petit véhicule sans prétention mais terriblement efficace et d’excellent rapport qualité-prix. » Le Dodge Journey a aussi obtenu son aval : « Sapristi, il est mieux ficelé que la plupart des Chrysler! »

Par contre, il est déçu de la Honda Accord : « La voiture a besoin d’être plus ergonomique; les boutons sont tassés les uns sur les autres. » De même, « je suis insulté lorsqu’un véhicule n’a de rangement que pour un papier mouchoir. Comme la Saturn Astra, dont l’unique porte-gobelet avant est inaccessible parce qu’il est situé… derrière la console centrale! »

Comme quoi on n’en passe pas une, à Raynald Côté…


Marc Lachapelle, le « Puriste »
Journaliste pigiste – le Guide de l’Auto
Juge pour les Meilleurs nouveaux véhicules nord-américains
L’un des quatre juges canadiens pour les Prix internationaux des moteurs de l’année

Le jour où l’on a repavé le boulevard Queen à Longueuil, Marc Lachapelle a réagi avec… consternation : « Ce chemin raboteux était ma référence, côté suspensions! »

Il lui a fallu trouver une autre route défoncée, qu’il a annexée au parcours qu’il sillonne hebdomadairement à bord d’un, deux, voire trois véhicules d’essai – « mon record est de six voitures en une seule semaine! »

De tous les chroniqueurs automobiles au pays, Marc Lachapelle est de ceux qui montent à bord du plus grand nombre d’automobiles chaque année : en moyenne 125.

Il est aussi l’un des rares à utiliser un accéléromètre afin d’obtenir ses propres données de performance. Ces temps d’accélérations, de reprises et ces distances de freinage, le journaliste de 56 ans les collige depuis un quart de siècle, maintenant.

Pourquoi se donner un tel mal? « Pour en arriver à des données uniformes, qui prouvent ce que j’avance lorsque j’écris, par exemple, que tel véhicule freine mal. »

Sa banque de données personnelle regroupe plus de 2000 véhicules. De quoi intéresser le géant Microsoft : en 2003, celui-ci en a acheté une partie des droits pour son site américain MSN Autos.

La direction, d’abord et avant tout

Marc Lachapelle est un pilote automobile dans l’âme. Il a touché à la course pendant quelques années, mais a dû mettre un frein à sa passion : « Mon deuxième enfant venait de naître et je n’avais absolument pas de temps pour cette drogue. »

N’empêche, l’aventure lui a permis de développer « une expérience de conduite et une sensibilité indispensable dans mon métier, » dit-il.

Lors de sa routine d’essai, Marc Lachapelle analyse, tel un puriste, un ensemble de paramètres «conduite» : passage des vitesses, embrayage, diamètre de braquage, douceur du moteur, position de conduite, présence d’un repose-pied, soutien des sièges.

L’aspect le plus important d’une voiture demeure, selon lui, la direction : «C’est elle qui assure le lien le plus direct entre le véhicule et la route. Porsche fait les meilleures : leur sensibilité et le côté tactile de leur volant sont du vrai bonbon.»

Quel véhicule l’a fortement impressionné, dernièrement? « La Honda Accord. À mon avis, la version quatre cylindres avec boîte manuelle représente actuellement la meilleure voiture du marché, toutes catégories confondues. J’ai été renversé par son harmonie, sa conduite, son confort de roulement et l’ensemble de ses qualités. Sans compter son incroyable valeur de revente! »

Voilà qui contredit l’avis de son confrère Raynald Côté – comme quoi deux têtes valent mieux qu’une…

Dès les premiers tours de roue

Marc Lachapelle est l’un de ceux qui récoltent la majeure partie de leurs impressions pour une voiture dès les premiers tours de roue. « Trois secondes. Il ne m’a fallu que trois secondes pour constater l’exceptionnel confort de roulement de l’Audi R8, une voiture pourtant sport et exotique. Magistrale, que cette R8. »

Bon, je vous entends dire que le puriste Marc Lachapelle doit engranger les points d’inaptitude…

Que non : « j’ai zéro point d’inaptitude. Je ne roule plus vite, je respecte le code de la route. » Et pour cause : le chroniqueur a convenu d’une entente avec les propriétaires d’un chemin privé et c’est là qu’il s’en donne à cœur joie. Là, ou sur un circuit, lorsqu’il y a accès.

La famille à bord!

Marc Lachapelle se plaît à souligner que chaque chroniqueur automobile a son style. « Le mien mise principalement sur la conduite. »

Il lui faut donc équilibrer ses essais avec des éléments plus terre-à-terre – le confort aux places arrière et les équipements qui montent à bord, par exemple.

Pour ce faire, le journaliste compte sur la participation de sa famille. « Mon fils aime que je lui offre une virée en voiture sport? En échange, je lui demande de se sacrifier et de tester les banquettes de fourgonnettes. Il n’y a pas si longtemps, je lui ai demandé de prendre place à l’arrière d’une Mini – pour la petite histoire, sachez qu’il fait six pieds deux... »

Une fois l’essai conclu, Marc Lachapelle dit prendre sa « surabondance de notes et tenter d’intégrer le tout dans un texte vivant. J’essaie de distiller beaucoup d’impressions et de données dans quelque chose de concentré, mais de digestible. »

Aussi : « Je me fais un point d’honneur de conseiller mes lecteurs comme je le ferais pour mon frère, mon père. Et je ne condamne jamais un véhicule en bloc, ça ne rend service à personne. Au contraire, la nuance peut faire toute la différence. »

La recette doit être gagnante, puisque Marc Lachapelle a remporté le grand titre du Journaliste automobile canadien en 2005.


Jacques Bienvenue, « l’Intérioriste »
Ancien pilote de course et chroniqueur auto pour le Journal de Montréal depuis 30 ans

Jacques Bienvenue ne s’en vantera pas, mais il est le seul chroniqueur automobile au pays à avoir possédé des entreprises de ventes de véhicules, tenu des ateliers de réparations et participé à des courses. Sa carrière de pilote a duré 30 ans et a notamment fait de lui le premier canadien aux 24 Heures du Mans (1975).

Jacques Bienvenue ne s’en vantera donc pas, mais il dira simplement : « Je suis capable d’acheter et de revendre une voiture, de la réparer, de la conduire… et évidemment d’en parler ».

Parler « char », Jacques Bienvenue le fait depuis… « Toujours! » lance-t-il en rigolant. C’est lui qui signe la chronique automobile du lundi dans le Journal de Montréal depuis près de 30 ans. La retraite pour l’homme qui vient de célébrer ses 70 ans ? « Je ne veux même pas savoir comment le mot s’écrit! »

Interrogé sur ce qu’il priorise lors de ses essais routiers, Jacques Bienvenue répond non pas les performances, encore moins le style, mais bien… l’habitacle. « L’important, pour moi, se trouve à l’intérieur. »

Il regrette d’ailleurs que trop de gens se laissent emporter, dans leur achat automobile, par des considérations d’esthétisme extérieur. « L’émotion leur fait choisir telle ou telle ligne qui les excite plus qu’une autre, sauf qu’où se trouveront-ils lorsque leur bagnole roulera ses prochains cent mille kilomètres? Dedans, pas dehors… »

Pour Jacques Bienvenue, l’essentiel réside donc dans des sièges confortables (et, idéalement, chauffants), un levier de vitesse « qui tombe dans la main », un système de chauffage et de climatisation efficace, des commandes faciles à manipuler, des matériaux bien choisis, une finition de qualité.

Il met également l’emphase sur l’assemblage : « Si l’habit n’est pas bien confectionné, ça risque de ne pas être beau en dessous. La peinture est mal appliquée ? Les scellant bavent et les joints sont mal soudés ? C’est dire que sous l’habit, les bas sont malheureusement percés. »

Entre Porsche et hybrides…

Semaine après semaine, Jacques Bienvenue fait l’essai de deux, voire trois nouveaux véhicules, «avec lesquels j’essaie de conduire comme monsieur et madame Tout-Le-Monde.» Toujours, un carnet de notes traîne sur le siège passager : «J’avoue qu’il m’arrive d’écrire en roulant…»

Les premières notes vont aux éléments qui le frappent, mais «je n’aime pas me fier à la première impression. La deuxième, voire la troisième impression est souvent la meilleure.»

Son plus récent coup de cœur ? «L’Audi R8, qui m’a procuré un tel plaisir de conduite. Elle est la voiture la plus moderne, la plus raffinée que j’aie récemment testée. Elle est flexible et facile à piloter, autant à 20km/h qu’à 120km/h. Elle laisse son conducteur avoir l’air d’un as et lui pardonne toutes ses erreurs.»

On pourrait croire que cet ancien pilote de course favoriserait les accélérations endiablées et les reprises dynamiques. Que non : «Certes, mon véhicule fétiche est une Porsche Carrera Turbo, mais jamais je n’en achèterais une. Un tel pur-sang, c’est épuisant à retenir sur nos routes limitées à 100km/h!»

Ce n’est donc pas la puissance du moteur qui lui importe. Même que «la Toyota Corolla et ses 132 chevaux suffisent amplement – quand bien même la voiture aurait 300 chevaux, ça ne servirait à rien.»

Lorsqu’il effectue ses essais routiers, Jacques Bienvenue emprunte «son» circuit d’une cinquantaine de kilomètres qui sillonne la campagne. «J’y retrouve du pavé défoncé, des trous et des bosses… J’y roule à 90km/h, mais il m’est arrivé d’y conduire des voitures qui en avaient plein les bras même à 80km/h.»

Est-il un grand respectueux du Code de la route? La réponse se fait attendre : «Je l’admets, j’ai de la difficulté avec les lois. Mais j’ai aussi de la difficulté avec les gens pressés qui nous bouffent le pare-choc…»

S’il devait faire l’acquisition d’un véhicule, quel serait-il? «Une hybride, parce que mes petits-enfants me le demandent! Et aussi parce que j’aime beaucoup les hybrides : lorsque pris dans un bouchon de circulation, je peux méditer ou rêver… en silence et sans polluer!»  


L’ABC du parfait test routier

L’ABC du parfait test routier n’existe pas; chaque chroniqueur y va comme bon lui semble, selon ses priorités. Ainsi, si certains mettent l’emphase sur la performance, d’autres misent d’abord et avant tout sur le rapport qualité-prix.

L’Association des journalistes d’automobiles du Canada (AJAC), qui regroupe près de 200 membres, a néanmoins élaboré une grille d’évaluation qui est utilisée lors du « Festival du Ttest ». L’événement annuel vise à déterminer la Meilleure nouvelle voiture et le Meilleur nouveau camion de l’année.

Cette grille d’évaluation comporte une vingtaine de critères, qui vont du style à la performance, en passant par la qualité et la sécurité, l’ergonomie et l’espace cargo, le confort et le comportement routier, la visibilité et la « responsabilité environnementale ».

Les essayeurs doivent juger chaque item par une note de 0 à 10 – la note 10 n’étant utilisée que « dans des circonstances exceptionnelles ».

Le facteur « prix » vient balancer les résultats, de façon à permettre aux véhicules « monsieur et madame Tout-le-Monde » de se mesurer équitablement aux voitures les plus exotiques.

Voilà ce qui n’a pas empêché l’Audi R8 de remporter le titre de Meilleure nouvelle voiture 2008 (le Chevrolet Silverado a été désigné le Meilleur nouveau camion 2008). C’est cette même R8 qui a tant fait saliver nos chroniqueurs automobiles ici interviewés…

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