Les 10 (principales...) raisons pourquoi Scion n’est plus

Dossiers
vendredi, 5 février 2016
Le couperet est tombé : Scion disparaîtra en cours d'année. La filiale Toyota n'aura survécu que 13 ans, dont 6 ans au Canada. Voici 10 raisons pourquoi la marque branchée qui visait les jeunes n'a pas remporté le succès souhaité.

Lancée en 2003 exclusivement aux États-Unis, puis débarquée au Canada en 2010, Scion était non seulement l’une des rares nouvelles marques automobiles du millénaire, mais elle promettait de faire les choses différemment, dans une expérience de vente qui allait être parmi les plus observées de la décennie.

Ça n’aura pas marché comme prévu: Scion tire sa révérence avec l’année-modèle 2017.

Certes, ce ne sera pas la première division automobile à prendre le champ. Les deux dernières décennies ont aussi vu disparaître Daewoo, Hummer, Mercury, Oldsmobile, Pontiac, Saturn, Saab (quoique…) et, du moins sur notre continent, Suzuki.

Mais pour Scion peut-être plus que pour les autres, il est si facile de déclarer: «Ouais, ben on n’est pas tellement surpris».

Si nos collègues américains de Jalopnik n’invoquent qu’une seule raison pour expliquer cet échec, soit Toyota never really gave a shit (traduction polie: Toyota ne s’en est jamais vraiment soucié), nous dirions qu’il y a plutôt dix bonnes raisons qui expliquent la situation.

Voici lesquelles.

Raison #1: Mauvaise cible

Nous sommes en 2003 et, armés d’une caméra (pas encore numérique), d’un carnet de notes (pas encore de tablette) et d’un crayon (toujours irremplaçable, celui-là), nous nous pointons, au coin des rues Van Ness et Sacramento à San Francisco, chez l’un des tout premiers distributeurs de véhicules Scion.

La marque jeunesse de Toyota débute alors son implantation en Californie, mais au cours des deux années suivantes, elle va s’étendre à tous les États-Unis. Le Canada, notez bien, ne figure pas aux maquettes préliminaires.

Le directeur des ventes, que nous avions alors interviewé entre les deux (seuls) modèles Scion, jubilait: «Nous savions que les véhicules allaient connaître du succès, mais jamais à ce point!» s’extasiait Edwin Tan.

Et vrai que les premières Scion, nouveauté oblige, se vendaient comme des petits pains chauds. Sauf que déjà, Toyota se trompait lourdement avec ses prédictions de jeunes acheteurs qui favoriseraient la Scion xA à hayon cinq portes... la proposition la plus ennuyante à s’être jmais manifestée chez Scion.

Plutôt, les acheteurs ont préféré l’étrange et très carré Scion xB, véritable précurseur au moment où les Honda Element, Nissan Cube et Kia Soul n’existaient pas ou si peu.

Raison #2: Mauvais marketing

Au départ, les intentions publicitaires de Scion étaient tout feu, tout flamme. Les responsables discouraient de techniques d’avant-garde, d’événements artistiques, de ventes par Internet, de marketing viral, d’un niveau jamais vu de personnalisation en accessoires…

Bref, n’importe quoi de «pro-actif pour rejoindre et se connecter à la génération Y», affirmait James E. Press. Le vice-président d’alors promettait même «une nouvelle philosophie d’achat de véhicules, avec la réinvention du concept de la salle d’exposition.»

Pourquoi vouloir tant séduire la Génération Y? Parce que ledit groupe était sur le point de représenter 60 millions d’automobilistes américains, plus encore que la légendaire cohorte des Baby Boomers. Le constructeur croyait par ailleurs dur comme fer que la «jeune clientèle n’allait vouloir pour rien au monde s’afficher au volant d’une Toyota ayant bercé son enfance.»

Malheureusement, les promesses marketing ne se sont jamais concrétisées. De un, les moyens technologiques ont évolué à vitesse grand V et Scion n’a pas réussi à surfer sur la vague. De deux, pourquoi se serait-il donné cette peine? Ses ventes se sont d’abord montré fulgurantes, dépassant de moitié les objectifs de 100 000 exemplaires pour 2005.

Raison #3: Mauvais modèles…

Aux deux premiers modèles Scion xA et Scion xB, s’en sont ajoutés d’autres qui n’ont jamais véritablement fait leur marque. Certains ont carrément été des flops, comme la petite Scion iQ, distribuée que pendant trois ans (2012-2015).

Il y a aussi ceux qui n’ont jamais eu le temps de s’enraciner. Ainsi, la Scion xA, que nos collègues de Jalopnik ont traité de Frigidaire (!), devenait la Scion xD, puis la Scion xD de 2e génération... tout ça en moins de cinq ans.

Au contraire, des modèles ont étiré l’élastique bien au-delà des cycles générationnels qui sont de mise dans l’industrie. Débarqué pour l’année-modèle 2005, le coupé Scion tC n’a pas eu droit à un renouvellement avant l’année-modèle 2011.

Raison #4:… ou modèles qui n’ont jamais vu le jour

Scion ne manquait pourtant d’idées: la marque a dévoilé au fil des salons automobiles d’innombrables prototypes intéressants (voyez notre galerie-photos).

Si la moitié de ces véhicules-concepts avaient daigné pointer leur calandre jusqu’en production, peut-être que Scion n’en serait pas là aujourd’hui.

Mais Scion a plutôt élargi sa gamme avec des modèles ayant davantage leur place dans une salle de montre Toyota – là où, d’ailleurs, la majorité se retrouvera à compter d’août prochain.

Raison #5: Mauvaises visées canadiennes

Au départ, il n’était pas prévu que les Scion traversent le 49e parallèle jusqu’au Canada. Mais avec des ventes qui avaient substantiellement ralenti, le marché de la Feuille d’érable était une belle – et accessible – porte de sortie, que Scion a poussé en 2010.

Sauf qu’un peu comme l’a fait le géant Target, l’entreprise n’a pas su lire les consommateurs canadiens. Plutôt que de s’offrir en une variété de configurations, nos (trois) véhicules Scion se sont amenés en un seul niveau d’équipements et, donc, à des étiquettes trop élevées pour la catégorie.

Avec ces versions uniques, le constructeur disait vouloir simplifier le processus d’achat pour les jeunes qui en étaient à leur première voiture – une façon élégante de les traiter d’idiots?. Ce faisant, il se gourait sur deux plans: des bourses automobiles moins déliées de ce côté-ci de la frontière et des jeunes qui, finalement, n’ont pas tant envie que ça de posséder une voiture.

Raison #6: Une - autre - mauvaise crise

La crise financière de 2008 a certes touché Scion: ventes automobiles et prix de l’essence en chute n’étaient pas pour aider une division exclusivement nord-américaine, mais qui recevait ses modèles du Japon, soit de l’autre bout peu profitable de la planète.

Et l’histoire de se répéter aujourd’hui, avec les coûts du carburant à leur plus bas niveau depuis une décennie. Dans un marché où les camionnettes et utilitaires retrouvent – très rapidement – de leur popularité, les divisions comme Scion ne proposant que des petites voitures sont mises à mal.

Raison #7: Mauvais gènes

Parce que Toyota occupe régulièrement le sommet des palmarès pour la satisfaction de sa clientèle et la qualité de ses produits, on aurait pu penser que sa filiale Scion conserverait les mêmes bons gènes.

Que non. Systématiquement, les sondages les plus crédibles ont placé Scion bien en deçà de la moyenne de l’industrie, parfois même en queue de peloton. Peut-être que les jeunes acheteurs ne veulent pas d’un véhicule de même marque que ceux conduits par leurs parents, mais quand cette marque est reconnue comme l’une des plus fiables, ça devient une autre histoire, non?

Tout aussi systématiquement, nos essais routiers des Scion xB, Scion xD, Scion iQ et même Scion FR-S, une sportive qui n’aura finalement jamais obtenu de variante vitaminée, se sont avérés être des déceptions.

Une seule exception: le coupé Scion tC, à notre avis le maillon le plus fort de la gamme. Mais celui-ci, de même que le fidèle cube xB ayant contribué aux bonnes années de Scion, ne seront pas reconduits après l’année-modèle 2016.

Les autres modèles qui demeurent au catalogue seront mutés chez Toyota. Encore faudra-t-il voir si on l’appellera Toyota iA (comme aux États-Unis) ou Toyota Yaris Berline, comme on nomme la sous-compacte de ce côté-ci de la frontière… même s’il s’agit d’une Mazda2.

Il faudra aussi voir si, en troquant leur badge Scion pour le plus classique emblème de la famille, les Toyota iM (est-ce qu’on ramènera la désignation Matrix?) et Toyota FR-S (lui donnera-t-on du Toyota 86 comme au Japon?) continueront d’attirer, près de trois fois sur quatre, de nouveaux clients.

Raison #8: Mauvais, très mauvais chiffres de ventes…

L’année 2006 aura été la meilleure en termes de ventes pour Scion aux États-Unis, avec 173 034 unités – près du double des objectifs. Ça augurait bien. Mais la descente au enfer qui s’en est suivie a abouti à trois fois moins d’exemplaires écoulés l’an dernier en sol américain, avec 56 167 unités en 2015.

Au Canada, même la meilleure année de ventes n’a pas été des plus reluisantes: en 2012, les Scion ont trouvé tout juste 5783 preneurs de ce côté-ci de la frontière. L’an dernier, elles ont attiré à peine 4659 acheteurs. La Honda Civic, voiture la plus vendue au pays, trouve autant de preneurs en un seul mois.

En vérité, Scion occupe les derniers rangs en popularité au Canada, avec des ventes annuelles qui le place au 31e rang, après Fiat et Volvo.

Raison #9: Pourtant…

Pourtant, le portefolio de Toyota comportait tout ce qu’il fallait. Imaginez ce qu’aurait été Scion si on lui avait accordé plus rapidement le Scion / Toyota CH-R, l’espèce de prototype torturé d’utilitaire sous-compact qui hante les salons automobiles depuis plus de deux ans.

Au départ, ce CH-R devait se ranger du côté de Toyota. Mais le salon de Los Angeles lui a apposé, oh surprise, un badge Scion que le véhicule n’arborera cependant jamais, puisqu’il sera dévoilé, au prochain salon de Genève (en mars), en modèle Toyota.

Imaginez aussi ce qu’aurait été Scion si on lui avait accordé des configurations rares sur notre continent, des variantes familiales par exemple. Ce n’est pas ça qui aurait sauvé la marque, mais bon.

Imaginez enfin ce qu’aurait été Scion si on lui avait attribué des motorisations hybrides. Après tout, qui sont les consommateur les plus soucieux de l’environnement, si ce ne sont pas les jeunes?

Raison #10: Les acheteurs les plus jeunes, soit.

La marque Scion aura provoqué beaucoup de remous pour de très faibles ventes. Reste que le constructeur a su s’attirer les acheteurs les plus jeunes: ils ont en moyenne de 36 à 39 ans, selon qu’ils se trouvent au sud ou au nord de la frontière.

La moyenne d’âge des acheteurs, toutes marques confondues, est de 52 ans. De toujours, les constructeurs ont visé les plus jeunes clients, espérant qu’ils demeurent au sein de leur famille pour le reste de leur (longue) vie.

Avec l’une des plus basses moyennes de l’industrie, est-ce que Toyota a raison de se péter les bretelles comme il fait dans son communiqué d’hier expliquant sa décision?

Peut-être pas. C’est non seulement que les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas la même fibre automobile que ceux d’hier, mais leur fidélité envers les marques est tout sauf… fidèle.

Peut-être que Scion vient de faire voler en éclat un vieux mythe qui n’est plus. Mais ça aura coûté cher à Toyota.

Saviez-vous que…

… au cours de ses 13 ans d’existence, Scion a écoulé très précisément 1 122 809 unités (dont 25 037 au Canada en cinq ans). C’est, grosso modo, à peine 10% de ce que la famille Toyota écoule en une seule année à travers le monde.

 

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