Voitures à la casse: On récupère ou on enfouit?

Dossiers
dimanche, 15 mars 2009
En Europe, on vise un taux de « déconstruction automobile » de 95% pour 2015. En Californie, les résidus de déchiquetage automobile seront bientôt considérés comme des matières dangereuses. Au Québec? Rien pour contrôler le recyclage automobile. À peine quelques lois environnementales disparates et un code volontaire de « bonnes pratiques ».

On pourrait s’attendre à ce que, devant cette situation, Recycl-Québec pousse les hauts cris. Que non : Mario Laquerre, directeur programmes et exploitation, dit au contraire qu’il serait aux anges si tout était autant recyclé que l’automobile.

Parce qu’il faut le dire, la voiture est actuellement le produit de consommation le plus recyclé au monde, dit la Recycle Steel. Cette association américaine soutient que bon an, mal an, l’acier et le fer récupérés sur les véhicules hors d’usage représentent presque l’équivalent des métaux utilisés pour en fabriquer de nouveaux. Un taux de recyclage métallique de près de 100%, donc.

Comment est-ce possible? Simplement, et tout naturellement. En effet, à plusieurs dizaines de dollars la tonne, et même plus lorsque les marchés s’emballent, il est plus rentable de retirer et de vendre tout le métal qui compose une voiture, que laisser cette dernière rouiller dans un champ ou dans une grange. Et c’est sans compter les pièces, moteurs et transmissions qui peuvent encore servir.

Mais un véhicule n’est pas fabriqué que de métal. S’il en est constitué aux trois quarts, le dernier quart est plutôt fait de verre, de plastique et de textiles qui, eux, ne sont pas recyclés. Ils finissent plutôt en « fluff », ce résidu de déchiquetage qui prend la direction de nos sites d’enfouissement.

Encore là, on s’attend à ce que Recyc-Québec s’indigne face à cette situation. Après tout, chaque année au Québec, plus de 618 000 véhicules (y compris ceux qui nous viennent de l’extérieur) terminent leur vie en quelque 233 000 tonnes métriques (2006) de matières non recyclées.

Si le chiffre impressionne, il n’est cependant rien comparé aux six millions de tonnes de déchets annuellement enfouies dans la Belle Province, dit M. Laquerre. « Pour tout dire, les résidus automobiles ne représentent que 3,4% de toutes nos matières enfouies. »

Pour lui, le problème se trouve plutôt, notamment, du côté des déchets organiques. « Ceux-ci constituent le tiers de tout ce que nous enfouissons, parce qu’à peine 6% des matières organiques sont compostées. Un secteur comme l’automobile qui atteint les 80% de recyclage, c’est donc un success story. »

Une roue qui… ne tourne pas

Reste que près de 1,3 million de véhicules prennent, chaque année au Canada, le chemin de la casse. Si le tiers de leur poids n’est pas récupéré, ça en fait, de la matière à enfouir.

Le problème, c’est que le recyclage des plastiques et textiles automobiles n’est pas au point de ce côté-ci de l’Atlantique, pour le moment du moins.

Et c’est malheureusement une roue qui tourne. Au départ, les procédés n’existent pas (ou si peu) afin de transformer un tapis ou du rembourrage de siège en une matière réutilisable qui soit abordable. Conséquence : personne ne s’élance pour acheter cette matière recyclée plus dispendieuse que le « neuf ». Les recycleurs ne voient donc pas l’intérêt d’investir temps et main d’œuvre afin de décortiquer un véhicule de ses sièges, manipuler des tapis ou retirer vitres et pare-brise – doit-on rappeler que le verre représente pourtant plus du tiers de la surface extérieure d’un véhicule?

« La valeur au marché (de ces matières recyclées) n’est pas suffisamment élevée pour en justifier l’activité », résume le porte-parole de Recycl-Québec. C’est tellement plus rentable d’enfouir, moyennant de 40$ à 120$ la tonne…

C’est encore pire pour le plastique, dont le recyclage est à peu près impossible en raison de sa… diversité. Selon Simon Matte, directeur général de l’Association des recycleurs de pièces d’autos et de camions (ARPAC), plus d’une vingtaine de types de plastiques, voire de composites, se côtoient dans l’habitacle automobile, aujourd’hui.

Coexistent donc des plastiques qui, à l’étape recyclage, fondent plus rapidement que certains, sans compter ceux contaminés par des additifs toxiques pour, par exemple, retarder la propagation du feu. Le traitement de l’ensemble est d’autant compliqué qu’aucun étiquetage, lors de la fabrication, ne permet d’identifier qu’est-ce qui est quoi.

Et dire que les plastiques occupent, en termes de volume, une part de plus en plus importante dans la voiture : plus légers que le métal, ils contribuent à la réduction de la consommation en carburant. L’American Chemistry soutient d’ailleurs que l’utilisation de plastiques dans l’automobile est passée de 27 kilos en 1970 à 150 kilos aujourd’hui. Soit près de six fois plus.

Un « fluff » plus dangereux qu’il n’y paraît?

La « déconstruction automobile » plus consciencieuse,  il faudra bien y voir un jour. Ne serait-ce que parce que nos sites d’enfouissement ne pourront plus, un jour, fournir à la demande. Et surtout parce le « fluff » n’est pas toujours aussi propre qu’on le voudrait bien.

En effet, des 587 recycleurs automobiles de la province, il n’est pas dit que tous décontaminent efficacement les véhicules qu’ils envoient au déchiquetage. Et pour cause : l’opération est complexe.

Un guide de « bonnes pratiques pour la gestion des véhicules hors d’usage » a bien été rédigé par le ministère de l’Environnement du Québec, mais son application demeure volontaire. Tout au plus différentes normes environnementales, sous la houlette des matières dangereuses, réglementent les items suivants :

  • le recyclage des pneus (pour lesquels un droit de 3$ est imposé depuis octobre 2003);
  • la récupération des huiles, des liquides et du carburant. Un « vieux char » renferme en moyenne 20 litres de fluides, soutient Steve Fletcher, directeur général des Recycleurs d’automobile du Canada. Ce dernier estime que seulement 40% des véhicules en fin de vie sont « dépollués » et, donc, que des millions de litres de fluides potentiellement dangereux « s’en vont on ne sait où »;
  • le retrait des filtres, du réservoir de carburant et de la batterie (pour le plomb qu’elle contient);
  • l’évacuation du réfrigérant climatiseur et, surtout, du mercure.

Lorsque ce dernier est laissé en plan dans une voiture assignée au déchiquetage, il se retrouve mélangé au « fluff », qui terminera sa course dans un site d’enfouissement. Pourtant, prévient la canadienne Clean Air Foundation, un seul tout petit gramme de mercure suffit pour contaminer un lac de 20 acres…

Le mercure n’est qu’une partie de l’iceberg et, pourtant, le « fluff » n’est pas considéré au Québec, comme presque partout d’ailleurs, comme « matière dangereuse ».

Tout au plus le ministère québécois du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs procède-t-il à des analyses annuelles pour déterminer sa teneur en contaminants. Mais ces analyses ne sont qu’à titre indicatif, dit la porte-parole Renée-Claude Chrétien : « L’objectif n’est pas de faire du contrôle, mais d’avoir des données de référence. »

Qu’on se console : « La presque totalité (des contaminants), assure Mme Chrétien, sont en deça des limites de détection des méthodes d’analyses utilisées. »

Recyclage automobile de 95% imposé en Europe

N’en demeure pas moins qu’en Californie, le « fluff » automobile sera décrété matière dangereuse à compter du 30 mars de cette année et ne sera plus admis dans les sites d’enfouissement réguliers.

Du coup, les coûts de disposition d’un véhicule en fin de vie augmenteront substantiellement. l faudra toutefois voir, avec le temps, si la conséquence négative de cette nouvelle réglementation se traduira par davantage de véhicules laissés en rade ou dans les champs…

L’Europe va plus loin : elle n’en veut carrément pas, de ce « fluff ». Elle ordonne donc que chaque véhicule en fin de vie puisse être, d’ici 2015, recyclé et/ou « valorisé » à 95%.

Voilà qui engage les constructeurs automobiles du Vieux Continent à faire leur part et à concevoir, dès aujourd’hui, des véhicules plus facilement démontables et dont les pièces codifiées permettront une bien meilleure identification.

Dit autrement, les constructeurs sont appelés à prendre la responsabilité de leurs produits en bout de chemin en veillant à leur « recyclabilité ».

Renault a déjà agi : il s’est affilié avec un « déconstructeur » afin d’assurer le traitement automobile en fin de vie. Retombée positive : il utilise « ses » matières recyclées dans la conception de ses nouvelles voitures.

Ainsi, la Nouvelle Laguna, soutient l’entreprise française, contient 17% de plastiques recyclés, un record d’une centaine de pièces de plastique « éco ».

Une taxe à l’élimination automobile?

Avant que, de ce côté-ci de l’Atlantique, on en soit rendu à un tel point, il faudra convaincre les constructeurs automobiles – notamment ceux américains qui luttent actuellement pour leur survie – de concevoir des véhicules facilement démontables et hautement recyclables.

Mais il faudra d’abord convaincre les autorités et décideurs qui, pour le moment, « sont malheureusement plus tournés vers le ciel, la couche d’ozone et l’effet de serre, que vers le bas, » déplore Simon Matte, de l’ARPAC. «Tout le monde est pour la vertu, ajoute-il, mais l’intérêt économique n’est pas là et nous ne sentons aucune volonté politique. »

Tout au plus, l’APRAC a réussi, il y a un peu plus d’un an, à faire inscrire le sujet à la Table québécoise de concertation en environnement sur les véhicules routiers. La proposition de l’ARPAC y est cependant plus ou moins populaire, parce qu’elle passe par une taxe à l’élimination automobile.

S’il était imposé, ce droit pourrait se fixer à 100$, à 200$, voire à 400$ par véhicule neuf acheté. M. Matte rappelle que l’on a fait ainsi pour les pneus et que depuis 2003, ce droit de 3$ « permet de faire quelque chose d’utile en fin de vie ».

« Imaginez, alors, un droit pour l’ensemble d’un véhicule, qui apporterait de l’argent neuf destiné à réduire à zéro les matières résiduelles. À 400$ par véhicule, soit deux pleins d’essence pour un gros utilitaire, on récolterait 160$ millions par année au Québec. Ça commencerait à faire un bon montant! »

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