Quand la Smart prend le taureau par les cornes...

Essais routiers
jeudi, 8 mars 2007
Madrid, Espagne – Je suis Smart. J’ai beau vieillir d’une génération, je suis encore Smart. Et voilà qu’on me lance officiellement à Madrid, capitale de l’Espagne, pays de la corrida. Les taureaux? Pffff! Pas peur. En fait, je ne ferai d’eux qu’une bouchée…

Les taureaux sont forts et puissants? Moi aussi, maintenant. Prenez mon nouveau moteur à essence – celui qui débarquera au Canada à la fin de l’année. Ce trois cylindres de 72 chevaux, 80% plus puissant que mon ancienne motorisation diesel, pousse des pointes à 145km/h. Oui, oui, 145 km/h!

En fait, c’est trop drôle, il faut que je vous raconte.

Je voulais visiter l’historique Plaza Mayor de Chinchòn, où s’organisent des corridas depuis plus de 500 ans. J’enfile donc l’autoroute en direction du petit bled médiéval, situé à une cinquantaine de kilomètres de Madrid.

Mais voilà, sur la M50 et la R3, les conducteurs espagnols me coupent sans cesse le chemin. Ils me doublent, n’hésitent pas à frôler ma calandre et ne m’accordent aucune attention, comme si j’étais une moins que rien. Hé! Un peu de respect!

Heureusement, je comprends rapidement – je vous l’ai dit, je suis Smart. Ces affreux automobilistes s’imaginent que je suis encore la vieille ‘moi’, sous-motorisée. C’est pourquoi ils font bien peu de cas de la petite urbaine sur les voies rapides.

Certes, il faut l’avouer, ma nouvelle robe ne diffère pas de beaucoup de l’ancienne. Mon designer, l’Allemand Harmut Sinkwitz, parle d’un style plus masculin, plus agressif. Il dit que je suis passée de l’enfance à l’adolescence.

En vérité, je conserve la même gueule sympathique qu’auparavant. Il faut vraiment avoir l’œil pour repérer mes poignées de portière désormais horizontales, mes deux (et non plus trois) feux arrière distincts, ou encore mes phares avant qui intègrent le clignotant.

N’empêche : je suis plus puissante, je suis dotée d’une nouvelle boîte séquentielle qui passe les rapports 60% plus vite et désormais, je peux réaliser le 0-100km/h en 13,3 secondes – c’est six secondes et demie plus vite qu’avant, ça!

De me faire ainsi doubler impunément me fait donc voir rouge. Je prends le taureau par les cornes et je montre de quel sabot je me chauffe : je fonce, tête baissée, question de donner à ma nouvelle vélocité l’occasion de me procurer une belle revanche. Oh, qu’il est amusant de lire l’étonnement dans les regards que je double à mon tour…

Ah, que je suis donc Smart...

Chinchòn
Enfin, Chinchòn. Son emblème, la Plaza Mayor, est une arène au sol de terre battue entourée de 324 balcons de bois, pas un de moins. C’est de là qu’encore aujourd’hui, les spectateurs contemplent les corridas, un verre de liqueur d’anis à la main – la spécialité locale.

En bonne Smart, je ne bois pas lorsque je prends le volant, je passe donc mon tour pour l’anis. Mais je m’accorde le temps d’admirer ces lieux remplis d’histoire – et question de n’en rien manquer, j’abaisse ma capote.

Oh, vous ai-je confié que désormais, mon toit électrique s’abaisse entièrement, de lui-même? Plus besoin de se glisser hors de la voiture pour enclencher ou désengager le mécanisme. Qui plus est, l’opération s’effectue qu’importe la vitesse à laquelle je roule et ce, en moins de 15 secondes. Je vous le répète, je suis Smart.

Tauromachie et stratégie
Nécessairement, on ne passe pas par Madrid sans visiter la Mecque de la tauromachie, le Vatican des toreros. Et j’ai nommé : la plaza de toros Las Ventas.

Située presque au cœur de Madrid, ce majestueux édifice circulaire construit en 1929 est la plus grande arène de tout le pays. C’est ici que les meilleurs toreros affrontent bravement leur destin. Rassurez-vous : en presque 80 ans de combats, on n’a jamais connu mort d’homme, ici…

C’est bien connu, pour parvenir à leurs fins, les toreros usent de stratégie et contrent la force du taureau par leur intelligence. Un peu comme moi, d’ailleurs.

Oui, oui, vous saurez que j’ai dû faire preuve de pas mal d’intelligence et de stratégie pour finalement être autorisée à poser mes pneumatiques aux États-Unis – ce que je ferai au début de l’an prochain. J’ai notamment dû adapter ma carcasse aux règles de sécurité américaines, plus sévères que celles européennes. Au passage, mon tableau de bord a adopté un design plus conventionnel – l’ancien, tout en courbes, aurait pu être dangereux, lors d’un impact, pour ces trop nombreux Américains qui ne la bouclent pas encore. Pas trop Smart, ça…

L’art… de la mobilité urbaine
Loin de moi l’idée d’être aussi superstitieuse que les toreros – qui ne se revêtiront jamais de jaune, couleur de la malchance (!) – mais je sens qu’un éventuel succès en sol américain assurera ma destinée.

En fait, j’espère que ma réussite y sera aussi grande que celle que je connais en sol canadien, où je suis débarquée il y a près de trois ans, maintenant. Mes patrons pensaient que j’intéresserais deux ou trois milliers de conducteurs, j’en ai plutôt séduit près de 10 000...

Smart, Smart, Smart, que je vous dis.

Tant mieux, parce que je ne l’ai pas eu facile, jusqu’à présent. Mon parcours personnel a débuté en Europe en 1998, aux mains de Nicolas Hayek, l’inventeur de la montre Swatch – d’où le « S » de mon nom. Puis, les dissensions et luttes internes (une vraie corrida humaine!) m’ont laissée aux mains de la luxueuse Mercedes – d’où le « M ».

Enfin, toutes sortes d’embûches financières ont parsemé ma route, à commencer par des ventes européennes qui n’ont pas été à la hauteur des attentes. Pour tout vous dire, j’ai failli ne jamais voir ma deuxième génération.

Heureusement, on a pris le temps de me comprendre. C’est qu’il faut prendre le temps de nous comprendre, nous, les artistes. Quoi, je ne vous l’ai pas encore dit? Je suis une artiste : celle de la mobilité urbaine.

Et voilà le « ART » de Smart, au cas où vous vous le demandiez…

Guernica et queues de taureau
Puisque l’on parle d’artiste, faisons un saut au musée. Et pas n’importe lequel : le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, l’hôte depuis 15 ans de l’un des plus célèbres tableaux du monde : le Guernica de Pablo Picasso.

La murale illustrant le bombardement de la ville espagnole en 1937 est encore plus gigantesque que tout ce que l’on peut imaginer à son sujet : 3,5 mètres de hauteur et près de huit mètres de largeur.

Voilà qui est beaucoup plus imposant que moi, certes. Et ce, même si j’ai grandi, au passage de ma nouvelle génération. Oh, pas trop : à peine de 20 centimètres en longueur. Heureusement, ce que je gagne en espace cargo (près du tiers, avec 340 litres) ne me fait pas renoncer à ma plus grande qualité : la capacité de me stationner en perpendiculaire, entre deux pare-chocs rapprochés. Smart un jour, Smart toujours!

C’est d’ailleurs ainsi que je me gare, une fois parvenue à la Plaza de Santa Ana, au cœur du quartier historique de Madrid. La journée tire à sa fin, j’ai su me faufiler dans la circulation mieux que tout autre, avec bravoure et témérité, là où d’autres auraient rebroussé chemin. J’ai bien mérité un temps d’arrêt, non?

Les bars à tapas commencent à se remplir. Il est temps pour moi de me récompenser en goûtant quelques spécialités hispaniques. Tiens, la ‘Fragua de Vulcano’ m’intéresse; les mets concoctés par cet établissement, qui s’attribue le nom de la toile de Diego de Velàzquez (1630), ne doivent pas manquer d’intérêt.

Mon choix se porte sur les « rabos de torro ». Mmm, délicieux que ces… au fait, Garçon, qu’est-ce que c’est? «Des queues de taureaux», répond le serveur, sa main balayant ses arrières, telle une queue imaginaire.

Des queues de taureaux…

Voyez? Je vous l’avais bien dit, que je n’en ferais qu’une bouchée, de ces taureaux!

 

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