Alcool: dans quel état seriez-vous à 0,05 %?
En attendant que les parlementaires québécois finissent de se chamailler quant à l’utilité — ou pas — d’abaisser la limite légale d’alcoolémie au volant, voici pour vous une (bonne) question : savez-vous vraiment comment vous réagissez à 80 mg d’alcool par 100 ml de sang — communément appelé le 0,08 %, la limite légale pour conduire au Québec ?
Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), « la majorité des conducteurs éprouvent extrêmement de difficulté à estimer leur taux d’alcoolémie avec précision ». Il existe bien des outils qui nous aident à savoir où on en est. Mais qu’en est-il réellement pour vous, personnellement, en tenant compte de votre corpulence, de votre état de fatigue ou de stress ce jour-là, ou encore des médicaments que vous prenez ?
Même à 0,05 %, j’étais déjà «paquetée»
Pour en avoir le cœur net, il y a quelques années, nous nous sommes réunis quelques amis et moi. Nous avons acheté des éthylomètres pour mesurer notre taux d’alcoolémie au fur et à mesure de la soirée. Le marché (et Amazon…) regorge de modèles variant entre 20 $ et 200 $ — optez pour ceux qui figurent en tête de palmarès des tests : ce sont sans doute les plus fiables. Mais attention ! Ne vous fiez pas trop aux résultats : aucun éthylotest en vente libre n’a la précision des équipements sophistiqués des forces policières. D’ailleurs, les résultats d’un éthylomètre personnel ne sont pas reconnus comme des preuves recevables par les tribunaux.
Évidemment, avant de commencer, nous avions prévu la suite : dormir sur place, Opération Nez rouge, transports en commun, chauffeur désigné, taxi, Uber, et personne n’a pris le volant!
Ces mises en garde faites, nous sommes passés à la partie la plus agréable : nous avons fêté ! Bien installés dans les fauteuils de mon salon, nous avons graduellement testé comment notre corps et notre esprit réagissaient à l’absorption de vin et de bière. Alors que l’euphorie, les discussions animées et les rires de plus en plus niais nous secouaient, nous devions deviner jusqu’à combien chacun de nous allions « souffler ».
Et j’ai eu une méchante surprise. Après trois verres, j’étais sûre d’atteindre le 0,08 %, la limite légale au Québec. Indéniablement, je savais très bien que je n’étais plus en état de conduire. À mon grand étonnement, l’éthylomètre n’indiquait que 0,05 %… seulement ! Pourtant, je sentais bien que j’étais déjà pas mal « paquetée », comme on dit au Québec.
Mes comparses, de taille, de sexe et d’âge variés, ont eu la même surprise. Comme moi, ils se disaient tous trop « chauds » pour prendre le volant, mais voilà qu’ils « soufflaient » tous sous la limite du 0,08 %.
Donc, légalement au Québec, nous aurions pu conduire.
En route… pour le trouble ?
Personne n’a pas pris le volant. Mais, si nous l’avions fait, nous aurions été quatre fois et demie plus à risque d’être responsables d’une collision mortelle que si nous avions été sobres, si l’on se fie à une étude réalisée pour le compte de la SAAQ.
L’INSPQ rappelle que la littérature scientifique a établi depuis belle lurette que « la performance des conducteurs dans leurs différentes tâches de conduite est affectée de manière importante à partir d’une alcoolémie de 50 mg/100 ml ». Dit plus directement : à 0,05 %, notre conduite ne devrait pas être affectée. Or, elle l’est déjà, et de façon notable.
Même « juste à 0,05 % », dit la SAAQ, notre jugement commence à s’altérer ; notre vigilance, à diminuer ; notre sens de la coordination, à se réduire. On éprouve de la difficulté à maintenir notre trajectoire et on dépasse, la plupart du temps, la ligne blanche. On ne dépiste pas à temps les objets en mouvement et, en cas d’urgence, nos réactions sont pas mal moins efficaces que chez un conducteur qui n’a pas bu une goutte.
L’effet désinhibiteur qui s’installe fait que nous agissons davantage sous le coup de l’émotion, en mesurant moins les risques. Les automobilistes les plus zen lorsqu’ils sont à jeun se transforment alors en d’imprévisibles conducteurs, allant jusqu’à invectiver les autres conducteurs ayant le malheur de croiser leur chemin.
Bref, plus on boit, moins on est intelligent… au volant, comme dans la vie.
O,05 % partout, sauf au Québec (et au Yukon)
La limite légale au Québec est de 80 mg par 100 ml (0,08 %).
Mis à part le Québec (et le Yukon), toutes les autres provinces canadiennes imposent un seuil d’alcoolémie de 0,05 % pour la conduite automobile.
Si mon expérience avait eu lieu dans l’une de ces provinces et que l’un d’entre nous avait pris le volant, il aurait risqué une suspension de permis, une amende de plusieurs centaines de dollars, des points d’inaptitude et peut-être même la saisie du véhicule. Voilà autant de sanctions qui n’existent pas au Québec lorsqu’on conduit avec un taux d’alcoolémie oscillant entre 0,05 % et 0,08 %.
Est-ce que le reste du Canada est plus « fou » qu’ailleurs ? Que non ! À travers le globe, la plupart des pays industrialisés ont établi la même limite, notamment l’Italie et la France, terres de la bonne chère et du bon vin.
D’autres contrées vont plus loin : l’Allemagne et le Japon, patries respectives du houblon et du saké, imposent le 0,03 %. En Suède et en Norvège, c’est 0,02 %. En Slovaquie et en Hongrie, c’est 0,00 !
Comme dans « tolérance zéro ».
Boire ou conduire… j’ai choisi!
Et vous savez quoi ? Tolérance zéro, c’est le seuil que je m’impose depuis ce fameux jour où j’ai réalisé à quel point — et avec quelle rapidité — un seul verre affectait mon taux d’alcoolémie et mes réactions.
Cette résolution personnelle de ne plus jamais mixer boisson et volant, que je respecte mordicus encore aujourd’hui, je nous la souhaite à tous et à toutes, au Québec. N’attendons pas que le gouvernement se décide (ou pas) à abaisser à 0,05 % la limite légale pour conduire. Ce serait une bonne résolution collective pour la nouvelle année — et pour toutes les autres à suivre.
EN CHIFFRES
- 380 décès et 1270 blessés graves sur les routes du Québec en 2023. Les trois principales causes des collisions mortelles sur nos routes ont été la vitesse, l’alcool et la distraction.
- 90 décès par année attribuables à l’alcool au volant (soit près du quart de tous les décès) et 200 blessés graves.